LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie



IV. - HIRONDELLES DE FENÊTRES ET HIRONDELLES DE RIVAGE.
La patrie. - Qui donc es-tu ? ... - Habitudes des hirondelles rustiques ; leur nourriture. - Les hirondelles de  fenêtres ; leurs moeurs ; leurs nids. - Domiciles expropriés. - L'hirondelle de rivage ; ses moeurs.


C'est du premier au quinze avril que les hirondelles, de l'espèce à laquelle j'appartiens, arrivent en France, quelques jours plutôt ou quelques jours plus tard, suivant la position du pays ou les circonstances atmosphériques.

Nous retournons aussitôt la maison que nous avons choisie pour retraite et nous y arrivons constamment chaque année, rapportant delà-bas, bien loin, au printemps, le petit cordon de soie que des mains amies nous avaient attaché au pied, à l'automne précédent.

Nous réparons immédiatement les anciens nids, pendant que les jeunes couples en construisent de nouveaux.

A ce moment, commence pour nous la vie d'été, toute de joies et de soucis.

Les poètes, qui ont prétendu que notre chant exhalait les regrets et les plaintes de l'exilé, ont exprimé une idée fausse : L'Europe est notre vraie patrie ; et nous ne la laissons que contraintes et forcées, lorsque les insectes nous font défaut.

Aucune de nous ne chante, aucune n'aime, aucune n'élève ses petits dans les autres parties du monde, qui, cependant, ont aussi leurs hirondelles avec lesquelles noirs ferons bientôt connaissance.

Oserai-je répéter, auprès de vos naturalistes, que l'hirondelle rustique, par ses facultés physiques et intellectuelles, est très haut placée dans l'estime de chacun, qu'elle est agile, hardie, gaie, active, toujours propre, toujours élégante, qu'une série de mauvais jours et la faim peuvent seuls interrompre le cours de sa bonne humeur, et que, malgré un naturel faible et délicat, elle fait souvent preuve d'une grande énergie quand elle vole  avec ses compagnes, quand elle poursuit avec ardeur les rapaces et les carnassiers.

Nous voyons bien son vol, dit un de vos grands historiens, qui fut aussi un grand poète, mais jamais, presque jamais sa petite face noire. Qui donc es-tu, toi qui te dérobes toujours, qui ne me laisses voir que tes tranchantes ailes, faux rapides comme celles du temps ? Lui, il s'en va sans cesse ; toi, tu reviens toujours. Tu m'approches, tu m'en veux, ce semble, tu me rases, voudrais-tu me toucher ? ... Tu me caresses de si près, que j'ai au visage le vent, et presque le coup de ton aile...   Est-ce un oiseau ? Est-ce un esprit ? ... Ah ! Si tu es une âme, dis-le-moi franchement, et dis-moi cet obstacle qui sépare le vivant des morts. Nous 1e serons demain ; nous sera-t-il donné de venir à tire-d'aile revoir ce cher foyer de travail et d'amour ? De dire un mot encore, en langue d'hirondelle, à ceux qui, même alors, garderont notre cœur ? n

Qui je suis ? ... Qui nous sommes ? ...

Nous sommes les oiseaux du retour, les oiseaux de la jeunesse et du printemps, les oiseaux du foyer, en même temps que les oiseaux de la gaieté, de l'espace et de la liberté ! ...

Ah ! de la jeunesse, oui de la jeunesse
S'exhale toujours un chant d'allégresse.
Quand je m'en allai, quand je m'en allai,
Oh ! Que la maison parut esseulée !
Quand je retournai, quand je retournai,
Si vide elle était, vide et désolée ! "

Donc, dès le retour, c'est une période de travail qui s'impose à notre sollicitude ; il faut préparer le nid de la famille, la maison des chers enfants, et nous avons dit ailleurs comment cette habitation est construite.

Nous choisissons de préférence, pour nous reposer, les endroits saillants d'où nous pouvons aborder facilement et d'où il nous est facile de prendre notre essor.

C'est là que nous nous chauffons au soleil, que nous lissons noire plumage et que nous faisons entendre notre chanson.

Le corps horizontal, nous tournons fréquemment la poitrine de côté et d'autre, nous battons des ailes, nous étendons nos membres, et nous lançons dans les airs nos notes joyeuses.

Indépendamment du chaut de la gaieté, des caquetages joyeux, des gazouillements légers, nous avons un cri d'appel, un cri d'avertissement ou de combat ; nous savons exprimer la perplexité, le danger imminent, l'angoisse cruelle, et notre voix siffle et tremble quand nous sommes en danger de mort.

Nous ne nous posons pas volontiers sur le sol ; et l'on ne nous y voit que lorsque l'impérieux besoin nous oblige à butiner les matériaux qui servent à la construction de notre nid. Lorsque nous marchons, nous paraissons si maladroites qu'on a peine à reconnaître en nous l'oiseau qui traverse l'espace avec la rapidité d'une flèche.

De tous nos sens, la vue est le premier : Il ne nous est pas difficile d'apercevoir une fourmi ailée à plusieurs centaines de mètres de distance.

Nous savons nous conformer aux circonstances, distinguer le bien du mal, reconnaître nos amis et nos ennemis. Non seulement nous vivons en bonne intelligence avec tous les êtres qui ne veulent pas nous nuire, mais nous cherchons à rendre service aux animaux sans défense.

Nous purgeons la terre d'une quantité d'insectes nuisibles ; nous ne chassons qu'en volant, et il nous est difficile de saisir une proie au repos ; aussi, quand après de longues pluies et des journées froides, les insectes rentrent dans leurs cachettes, avons-nous à souffrir de la faim.

On nous voit alors voler auprès des murailles ou des branches d'arbres, auprès des fenêtres et du toit des habitations, cherchant1 effrayer notre gibier pour le décider à partir.

Malgré notre agilité et notre attachement pour l'homme, nous sommes en butte à bien clos dangers : Les oiseaux de proie nous poursuivent dans les airs ; les belettes, les rats et les souris se glissent dans nos nids.

Quelquefois, faut-il le dire, l'homme vient grossir la liste de nos ennemis ; la grossièreté et la cruauté de certains oiseleurs l'emportent sur tout autre sentiment ; des gamins mal élevés détruisent, chaque année, des milliers de nos nids, malgré le proverbe bien connu : " Qui tue une hirondelle, tue sa mère "

On nous distingue des autres espèces à notre manteau d'un noir bleu à reflets métalliques, et à la couleur marron foncé de notre front et de notre poitrine. Notre gorge est marquée d'une large bande noire ; la partie inférieure de notre corps est d'un jaune roux clair ; les plumes de notre queue portent des taches blanches.

De nombreuses colonies d'hirondelles de fenêtres s'étaient établies dans notre voisinage et vivaient avec nous en bonne intelligence. Leurs nids dessinaient de véritables guirlandes à l'embrasure des croisées, aux entablements des maisons exposées aux levant, autour de l'église et du château.

La taille de ces hirondelles est inférieure à la notre ; leur queue est moins étagée. Elles ont le croupion, la gorge et tout le dessous du corps d'un beau blanc, contrastant avec le plumage supérieur, d'un beau noir brillant à reflets bleuâtres ; les grandes plumes des ailes sont brunes avec des reflets verdâtres, et portent des taches blanches à leur extrémité.

Les hirondelles de fenêtre reviennent en France un peu plus tard que nous ; leurs mœurs et leurs habitudes ressemblent beaucoup aux nôtres.

Elles sont, prétend-on, plus sérieuses, moins confiantes, sans être craintives: Leur vol, plus lent, est moins saccadé et moins raide ; elles planent davantage et s'élèvent à une très grande hauteur. Comme nous, elles se tournent, se détournent facilement de tous côtés, tantôt s'élevant, tantôt descendant, pour saisir leur proie. tantôt effleurant les herbes ou la surface de la rivière qu'elles frappent quelquefois de l'extrémité de leurs ailes ou de tout le poids de leurs corps.

Afin de ne pas être taxée de partialité, c'est à un de vos naturalistes que j'emprunterai son jugement sur le chant de l'hirondelle de fenêtre

A la voix, dit-il, on la distingue facilement de l'hirondelle rustique. Son chant ne se compose que d'une phrase lente, uniforme, nullement agréable, et qu'elle répète plusieurs fois. C'est un des oiseaux chanteurs les plus mauvais. Mais, que notre voisine ne m'en veuille pas ; Elle rachète, par d'autres avantages, cette petite infériorité, et ses mouvements sont pleins de grâce et d'élégance quand, dans les plus hautes régions de l'air, elle se livre, en jouant, à la chasse des insectes.

Que le nid de l'hirondelle de fenêtre soit placé sous une corniche, dans une embrasure, sous un toit ou sous les chapiteaux d'une colonne, elle choisit toujours un endroit où il soit protégé par en haut.

J'en ai vu se loger dans une crevasse de muraille dont elles fermaient l'entrée, en n'y laissant qu'une petite ouverture pour pouvoir passer.

Elle recueille de préférence, pour construire son nid, la terre que les lombrics, ou vers de terre, rejettent après en avoir extrait les sucs, et, comme nous, elle lui communique, à l'aide de sa salive, une sorte de viscosité.

Cette terre se lie plus facilement ; mais comme on ne la trouve en assez grande quantité que lorsqu'il pleut, les hirondelles de fenêtre s'empressent de profiter de cette circonstance ; elles se réunissent souvent, mettent leurs efforts en commun, et façonnent clos nids pour plusieurs ménages. Elles profitent ainsi des matériaux précieux, et la petite colonie épargne à chaque couple une perte de temps et des fatigues inutiles.

Pendant que plusieurs apportent les matériaux, la future mère donne au nid sa forme, polit la terre détrempée, et, parle frottement de ses plumes, fait disparaître toutes les aspérités qui pourraient blesser les petits.

La terre employée est fortifiée de brins de paille entremêlés dans l'épaisseur des parois ; la couche intérieure est garnie d'une grande quantité de plumes.

Ces nids diffèrent des nôtres, en ce qu'ils ne sont pas ouverts par en haut. Leur forme est ordinairement hémisphérique, et l'ouverture circulaire, placée vers la partie supérieure, n'excède pas le volume du corps de l'oiseau. L'exiguïté de cette entrée permet plus facilement la défense du domicile, et a pour but d'empêcher les autres oiseaux de s'y introduire.

Cependant, malgré ces précautions, les moineaux y pénètrent quelquefois. Je les ai vus s'y glisser, pendant l'absence de mes voisines, et regarder insolemment par l'ouverture, pendant que les malheureuses expropriées n'avaient d'autre ressource que de voler tout autour en poussant des cris d'angoisse et en appelant leurs compagnes à leurs secours.

J'en ai vu qui menaçaient les ravisseurs sans oser fondre sur eux ; mais bien des fois aussi, le domicile violé est devenu le tombeau des voleurs. Les hirondelles spoliées, aidées de leurs amies, s'empressaient de murer, avec de la terre, l'ouverture du nid, et les brigands, enfermés, périssaient victimes de leur audace.

Un jour, j'ai aperçu un vieux moineau entrer dans un nid où se trouvait de pauvres petites hirondelles encore privées de plumes: Il leur brisa la tête à coups de bec, les rejeta dehors, et demeura maître du domicile, où sa compagne vint bientôt le rejoindre, malgré les cris des parents.

Ce couple audacieux parvint à jouir paisiblement de son larcin. Les moineaux approprièrent ce nid à leurs besoins ; ils le tapissèrent chaudement de matériaux bien mous ; et, les longs filaments, les brins d'herbe qui sortaient par l'ouverture, indiquaient que l'établissement avait changé de propriétaires.

Les jeunes prennent leur essor environ seize ou dix-huit jours après leur naissance ; ils s'exercent sous les yeux de leurs parents jusqu'à ce qu'ils puissent se suffire à eux-mêmes. Dans les premiers temps, ils reviennent chaque soir au nid. A Père, mère, enfants, se pressent dans ce petit espace ; c'est à peine s'ils peuvent s'y loger à sept ou à huit ; aussi faut-il du temps avant que chacun ait pris sa place définitive, et l'on se demande comment ils peuvent s'y disputer, comme ils le font, sans que le nid tombe ou se rompe. Parfois les jeunes se trompent de nid : ils sont alors vigoureusement chassés et repoussés par les légitimes propriétaires.

Un peu plus tard, les hirondelles se réunissent le soir, en grand nombre, pressées les unes contre les autres, sur les roseaux, sur les branches d'arbre qui s'inclinent sur la rivière ; on les voit encore sur les corniches, les entablements ou les toits des bâtiments ; elles y forment une sorte de long cordon et y passent la nuit.

Plus petite encore que l'hirondelle de fenêtre est l'hirondelle de rivage, dont quelques couples se sont établis au bord de la Vienne. Ce sont de bonnes petites voisines, toujours gaies, toujours vives, toujours en mouvement.

Rarement cet oiseau s'élève à une grande hauteur : On le voit, rasant la surface de l'eau ; et son vol est si vacillant qu'on a pu le comparer à celui des papillons.

Cette hirondelle doit son nom aux lieux qu'elle habite : E lie ne quitte guère les bords des rivières et des fleuves où elle établit son nid dans les trous des rats d'eau. Quand elle ne trouve pas un trou qui lui convient, elle cherche un terrain friable, un endroit: où la rive est à pic, et elle creuse elle-même, avec rapidité, un terrier à ouverture étroite, qui a quelquefois cinquante centimètres de profondeur.

Le dos de l'hirondelle de rivage est gris-brun, le dessous du corps est blanc, la poitrine est marquée d'une bande d'un brun cendré.

Quoique je ne sois pas une hirondelle savante, je sais pourtant que les anciens avaient remarqué l'hirondelle de rivage ; seulement, ils lui attribuaient des travaux qui, malgré le courage de la pauvrette, seraient bien au-dessus de ses forces.

A l'embouchure du Nil, près d'Héraclée, dit Pline, les hirondelles bâtissent leurs nids l'un près de l'autre, et opposent ainsi aux inondations du fleuve une digue impénétrable, de près d'un stade de long, et qui ne pourrait être construite de main d'homme. Dans cette partie de l'Egypte, il y a, près de la ville de Coptos, une île consacrée à Isis ; les hirondelles se donnent beaucoup de peine pour la raffermir, afin qu'elle ne soit pas emportée par le Nil. Au commencement du printemps, elles en fortifient la pointe, en emportant du foin et de la paille ; elles y travaillent trois jours et trois nuits de suite, avec une telle ardeur que beaucoup meurent d'épuisement.

Chaque année, elles recommencent ce travail à nouveau.

Voyez-vous notre gentille petite amie construire une digue qui oppose aux inondations du Nil une barrière impénétrable ! ... J'aime mieux l'envisager telle qu'elle est, se laissant tomber de son nid et étendant les ailes pour prendre son essor, planant le long des rochers dont elle contourne rapidement tous les angles, fouillant toutes les crevasses sans jamais se poser ; puis s'arrêtant enfin sur une saillie, avec une de ses compagnes, battant joyeusement des ailes en poussant de petits cris.

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