LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie


X. - OISEAUX ET SINGES.
Les nélicourvis. - Un oiseau industrieux. - Attaque des nids. - Les mésaventures d'un singe. - Qualités et défauts. - Récolte du thé par les singes. - Origine mystérieuse du thé. - Le singe entelle. - Un singe martyr. - Un animal vénéré. -- Le macaque rhésus. - Un voisinage désagréable. - La vengeance d'un planteur,


Je vous ai parlé de la penduline, jolie mésange qui déploie tant d'art pour la construction de son nid : non moins industrieux sont les mignons oiseaux connus partout dans l'Inde sous le nom de nélicourvis bayas, ou simplement de bayas.

Le baya a la partie supérieure du corps d'un brun foncé, bordé dé fauve ; la partie inférieure est fauve, la poitrine marquée de brun clair et de noir ; la face et la partie antérieure du cou sont noirs ; le dessus de la tète est d'un jaune vif ; les grandes plumes des ailes sont bordées d'un léger liseré jaune l'oiseau a seize centimètres de longueur y compris la queue qui mesure cinq centimètres.

Les bayas, très communs dans les bois et dans les plaines, se nourrissent de grains de toute espèce et surtout de riz ; ils se réunissent par troupes, et, pendant le repos, ils font entendre un gazouillement continuel.

Le nid curieux du baya, en forme de cornue, est pendu d'ordinaire à un palmier, rarement à un autre arbre ; souvent il est établi sur un arbre dont les branches s'avancent sur un cours d'eau, surtout si ces branches sont nombreuses et peu serrées les unes contre les autres ; il le suspend aussi parfois au chaume des maisons, et on voit des huttes portant ainsi trente à quarante de ces nids.

Ce nid est construit avec des très d'herbes que le baya cueille lorsqu'elles sont encore vertes ; l'oiseau emploie quelquefois des nervures de feuilles de palmier ; mais comme le petit architecte paraît comprendre qu'une substance aussi solide n'a pas besoin d'être employée en aussi grande quantité que les herbes, ces nids sont moins bombés et moins volumineux que les autres.

Lorsque l'espèce de chambre qui doit contenir les œufs est terminée, le baya fait une forte cloison latérale ; si l'on enlève le nid en ce moment, il a la forme d'un panier sans anse. On a cru que la partie séparée était la chambre du mâle, mais ce n'est en

lité que le seuil séparant le nid proprement dit de son couloir d'entrée, seuil qui doit être très solide, car c'est là que se perchent es parents, et plus tard les petits.

Jusqu'à ce moment, les deux bayas travaillent de concert ; mais, dès que le seuil est construit, la femelle se retire dans l'intérieur du nid, tisse les brins d'herbe que lui apporte le mâle, pendant que celui-ci s'occupe seul de l'extérieur. D'un côté de l'entrée se trouve ,la chambre des oeufs, de l'autre côté règne le couloir ; mais, cette constriction a pris beaucoup de temps ; et, à ce laborieux travail, succède une période de repos.

Les oiseaux, cependant, ne restent pas absolument inactifs, ils apportent dans le nid de petits fragments d'argile. A quoi est destinée cette terre ? Différentes suppositions ont été faites à ce sujet. Les indigènes ont cru que le baya enchâssait des vers luisants dans l'argile pour éclairer son nid pendant la nuit ; d'autres ont supposé que l'oiseau y aiguisait son bec ; d'autres encore ont prétendu que cette argile servait à consolider l'édifice. J'ai vu do près les nids des nélicourvis, et, d'après la place qu'occupe cette terre, je crois qu'elle sert tout simplement à maintenir l'équilibre de la construction : c'est une sorte de lest qui empêcha le nid d'être le jouet du vent.

Les jeunes bayas s'apprivoisent assez facilement ; on leur ap- prend des tours d'adresse comme aux canaris et aux chardonnerets ; et les pauvres petits captifs se montrent gais si on les met dans une volière assez spacieuse.

Je vous ai dit que les bayas aimaient à suspendre leurs nids aux branches qui s'avancent au-dessus des cours d'eau, et, si vous l'ignorez, je vous apprendrai que les singes, très communs partout clans l'Inde, sont très friands d'oeufs d'oiseaux.

Je venais d'apercevoir une véritable colonie de nélicourvis dont les nids, gracieusement suspendus au-dessus d'une jolie nappe d'eau étaient doucement agités par la brisa. Tout près de là, plusieurs singes se balançaient aux branches d'un arbre en faisant mille grimaces, et il était facile de deviner qu'ils avaient pour objectif le pillage des nids de

bayas.

Les petits oiseaux, inquiets, poussaient des cris d'effroi en voltigeant en tumulte autour des nids, pendant qu'un des singes s'avançait avec précautions sur un rameau dont les oscillations l'inquiétaient certainement plus que les protestations de colère des bayas. Déjà le singe allongeait la main pour s'emparer du nid le plus rapproché, lorsque la branche se rompit, et le malheureux quadrumane fut précipité dans l'eau, entraînant dans sa chute la proie, cause de sa mésaventure.

Ce fut alors un bruit confus de cris d'oiseaux, de branches cassées par les singes qui fuyaient, pendant que leur camarade sortait de la rivière, tout honteux de sa mésaventure en faisant les plus affreuses grimaces.

Les singes ressemblent à l'homme par tous leurs défauts. ils Boni méchants, faux, perfides et voleurs ; ils apprennent une foula de tours plaisants, mais ils n'obéissent, pas et gâtent souvent la jeu en faisant quelque balourdise comme un arlequin grossier. ®n ne saurait attribuer une vertu quelconque aux singes, et moins encore les croire capables de rendre service à l'homme. Ils peuvent rester en faction, servir à table, chercher divers objets, mais ne le font que, par intermittence et tant que leur folle humeur ne reprend pas le dessus. Au point de vue physique comme au point de vue moral, ils ne représentent que le mauvais côté de l'homme.

Cependant, ce jugement porté par un homme me parait exagéré ; il faut bien reconnaître aux singes quelques bonnes qualités : ils manifestent souvent de la prudence, de la gaîté, de la douceur, de la bonté, de l'amitié et de la confiance pour l'homme.

Je vous ai entretenu d'un singe qui remplissait, à bord d'un navire, les fonctions de garçon boulanger, et qui mourut de douleur à la suite de mauvais traitements immérités qu'on lui avait fait subir. J'ai vu, en Chine, des singes dressés pour la récolte du thé, et qui s'acquittaient de cette tâche à la satisfaction de leurs maîtres.

Le thé est aujourd'hui d'un usage à peu près général ; de l'Asie, il s'est introduit en Europe et en Amérique, et est devenu, dans certains pays, l'une des nécessités de l'existence. Peut-être ne seriez-vous pas fâchés de connaître l'origine mystérieuse que les Japonais attribuent à cette plante.

Darma, prince et pontife indien d'une grande piété, troisième fils du roi Kosjuwo, et vingt-huitième successeur du grand prêtre Sjaka, qui vivait plus de mille ans avant Jésus-Christ, arriva en Chine vers l'an cinq cent dix-neuf de l'ère chrétienne, et travailla de tout son pouvoir à enseigner aux peuples qui l'entouraient la religion qu'il pratiquait. Il prêchait de parole et d'exemples, s'imposait toute sorte de privations, et ne mangeant que des feuilles pour touffe nourriture ; il avait même résolu de passer les nuits clans de pieuses méditations, regardant comme le terme de la, perfection humaine, de pouvoir se consacrer sans relâche au service de Dieu. Un jour, pris par le besoin, et fatigué par la chaleur d'une longue marche, il se laissa aller au sommeil. A son réveil, touché d'une immense douleur d'avoir violé son voeu, et voulant empêcher que le même accident ne lui arrivât de nouveau, il s'arracha les paupières des deux yeux, instruments de son crime, et les jeta avec colère sur la terre. Revenu au bout de trois jours dans le même lieu, il vit, avec la plus grande surprise, que de chacune de ses paupières était né un arbuste jusqu'alors inconnu, et dont les propriétés étaient ignorées. Le pontife en cueillit les feuilles pour s'en nourrir, et en ressentit une grande joie intérieure, ainsi que la force de se livrer à ses contemplations. Cette vertu cachée clans les feuilles de l'arbuste, la manière de les préparer, furent transmises par lui à ses disciples, et passèrent ainsi dans l'usage vulgaire avec le terme de thé, employé pour désigner l'arbuste, et qui, paraît-il, signifiait paupière dans la langue de cette époque. "

1l y a des thés de différentes qualités ; on estime beaucoup celui qui croît naturellement dans les anfractuosités des montagnes, où ne pourraient parvenir les hommes les plus lestes et les plus adroits pour en opérer la récolte..

" Des singes sont dressés par les Chinois à escalader ces endroits difficiles, et à dépouiller indistinctement de leurs feuilles tous les arbrisseaux à thé qui leur sont désignés. Les ouvriers ramassent ces feuilles et ont soin de récompenser par des fruits ies singes travailleurs. Quelques auteurs ont avancé que cette récolte était faite en agaçant et en irritant une brande quantité de singes, habitants sauvages de rochers inaccessibles, et qui, pour se venger, briseraient les branches des arbres à thé, et les feraient pleuvoir sur ceux qui les insultent ; il est aujourd'hui prouvé que les singes employés à la cueillette sont apprivoisés.

" L'industrie chinoise a profité de la voracité du cormoran pour l'envoyer saisir les poissons au fond des lacs et des rivières, et les apporter en tribut à son maître ; elle a utilisé même l'adresse et l'intelligence du singe ; mais combien de patience il a dû falloir pour instruire un animal aussi peu docile. "

Parmi les espèces de singes les plus répandues dans de l'Indes, il faut citer le, singe entelle que les Indiens appellent le houlman et auquel ils rendent les honneurs

Une légende très répandue rapporte que l'Inde est redevable à l'houlman de l'un de ses fruits les plus estimés, la mangue qu'il déroba dans l'antique Taprobane., aujourd'hui l'île de Ceylan. Le malheureux, condamné au bûcher en punition de ce vol, parvint à éteindre le feu ; mais il se brûla les mains et la figure, et c'est depuis cette époque qu'il est noir.

Les brahmes pouvaient-ils mieux reconnaître le dévouement de ce martyr qu'en le déifiant ?...

L'entelle a quatre-vingts centimètres de longueur, avec une queue de un mètre ; il a le pelage blanc jaunâtre ; le dos, les membres et presque toute la queue plus foncés que le reste du corps. La face et les quatre mains sont noires. Les membres de ce singe sont d'une longueur démesurée et en apparence très grêles ; ses mouvements sont lents ; l'oeil et la physionomie restent toujours calmes.

Pendant sa jeunesse, l'entelle ale front large, le crâne élevé et arrondi, et il jouit d'une étonnante pénétration pour concevoir ce qui peut lui être agréable ou nuisible ; il est alors facile à apprivoiser, pourvu qu'on emploie la douceur et les bons traitements. Plus tard, lorsqu'il vieillit, il n'a pour ainsi dire plus de front ; son museau a acquis une proéminence considérable ; il tombe dans l'apathie et dans le besoin de solitude.

La vénération des Hindous pour le houlman est telle qu'ils lui permettent de piller leurs jardins et leurs maisons, et même de leur enlever les aliments qu'ils tiennent entre les mains. Celui qui ose attenter à la vie de ce singe sacré met la sienne enjeu.

Un jeune Hollandais, nouvellement arrivé d'Europe, ayant tué de sa fenêtre un houlman, les indigènes se révoltèrent, et ce ne fut qu'à grand peine qu'on parvint à les apaiser. Ils prièrent le jeune homme d'aller s'établir ailleurs, car ils étaient persuadés que cet étranger allait périr et qu'eux-mêmes pourraient être punis de son crime.

" Ce singe, dit Duvaucel, fait son apparition dans le bas Bengale, vers la fin de l'hiver. Mais je n'ai pu d'abord m'en procurer, car, quelque zèle que j'aie mis dans mes poursuites, elles sont toujours restées infructueuses à cause des soins empressés qu'ont mis les Bengalis à m'empêcher de tuer une bête si respectable, qu'on doit nécessairement mourir dans l'année qui suit

son décès. Les Hindous chassaient le singe aussitôt qu'ils voyaient mon fusil, et pendant plus d'un mois qu'ont séjourné à Chandernagor sept ou huit individus qui venaient jusque dans les maisons saisir les offrandes des fils de Brahma, mon jardin s'est trouvé entouré d'une garde de pieux brahmes, quI jouaient du tam-tam pour écarter le dieu quand il venait manger mes fruits... .

" A Gouptisara, je vis les arbres couverts de houlmans, qui se mirent à fuir en poussant des cris affreux. Les Hindous, en voyant mon fusil, devinèrent, aussi bien que les singes, le sujet de ma visite, et douze d'entre eux vinrent au-devant de moi, pour m'apprendre le danger que je courais, en tirant sur des animaux qui n'étaient pas moins que des princes métamorphosés. J'avais bien envie de ne point écouter ces charitables avocats ; cependant, à moitié convaincu, j'allais passer outre, lorsque je rencontrai sur ma route une princesse si séduisante, que je ne pus résister au désir de la considérer de plus près. Je lui lâchai un coup de fusil, et je fus alors témoin d'un trait vraiment touchant. La pauvre bête, qui portait un jeune singe sur son dos, fut atteinte près du coeur ; elle se sentit mortellement blessée, et, réunissant toutes ses forces, elle saisit son petit, l'accrocha à une branche, et tomba morte à mes pieds. Un trait si maternel me fit plus d'impression que tous les discours des brahmes, et le plaisir d'avoir un bel animal, ne put l'emporter sur le regret d'avoir tué un être qui semblait tenir à la vie par ce qu'il y a de plus respectable. Le macaque rhésus n'est pas moins bien traité par les Hindous qui voient en lui, comme dans l'entelle, une sorte de divinité. Voici ce que dit de ce singe le capitaine Johnson

" Dans le voisinage de Bindrabun, on rencontre plus de cent jardins bien fournis, dans lesquels on cultive toutes sortes de fruits pour l'entretien du macaque. Les personnes riches du pays témoignent ainsi leur vénération à leur dieu.

" En traversant, un jour, l'une des routes de Bindrabun, je remarquai un vieux rhésus qui me suivait d'arbre en arbre ; tout à coup il descend, m'enlève mon turban, et s'éloigne rapidement.

" J'habitai une fois cette ville pendant tout un mois, je demeurais dans une grande maison, situ ; e sur le bord du fleuve, et appartenant à un riche indigène. La maison n'ayant pas de portes, les singes entraient souvent dans la chambre même que j'occupais, et enlevaient du pain et d'autres objets devant nos yeux. Lorsque nous dormions dans un coin de la chambre, ils se montraient bien plus hardis voleurs. J'ai souvent fait semblant de dormir, pour les observer à mon aise, et j'admirais leur habileté et leur adresse. Ils faisaient des bonds de douze à quinze pieds, d'une maison à l'autre, avec un ou deux petits sous le ventre, et une charge de pain, de sucre et d'autres objets dérobés dans les mains.

" Dans une excursion que je fis à Jeckarry, nous avions dressé nos tentes dans un grand jardin de mangoustans, et avions attaché nos chevaux à une petite distance. Pendant que nous étions à table, le palefrenier vint nous dire que l'un des chevaux avait rompu ses liens, parce que les singes l'avaient effrayé par leurs cris et m lançant des branches sèches du haut des arbres ; il nous avertit aussi que les autres chevaux allaient probablement en faire autant, si nous ne venions pas à son aide. A l'issue du repas, je pris mon fusil pour aller chasser les singes, et j'en tirai un qui se sauva rapidement au milieu des branches, où il s'assit en essayant d'arrêter avec ses mains et de faire coaguler le sang qui coulait de ses plaies. Ce spectacle me causa une grande émotion, et me fit perdre toute envie de continuer ma chasse. Un palefrenier vint immédiatement après ma rentre nous raconter que l'individu que j'avais tiré était mort, mais que les autres singes étaient venus l'emporter, on ne savait où.

" Un homme digne de foi m'a raconté que la vénération des indigènes pour ce singe est aussi grande que celle que reçoit le houlman. Les indigènes de Baka laissent le dixième de leurs moissons sur les champs pour les singes, qui descendent immédiatement des montagnes pour lever la dîme. Il est bien difficile à un étranger de vivre dans le voisinage du rhésus, sans concevoir pour lui la plus grande aversion ; il a bientôt dévasté les jardins et les plantations ; et les sentinelles chargées de veiller à la sûreté des récoltes ne peuvent suffire à la peines Chassés d'un côté, les singes reviennent bientôt de l'autre ; les épouvantails ne les arrêtent guère ; et c'est risquer sa propre vie: que de les tuer.

Un Anglais avait vu, pendant deux ans, ces animaux dérober ses récoltes ; il ne savait comment protéger ses plantations de cannes : Un fossé profond les protégeait contre les éléphants ut les porcs, mais ne pouvait rien contre les singes qui se jouaient des obstacles. Le planteur eut alors l'idée de s'emparer de plusieurs jeunes rhésus, qu'il emporta chez lui, et qu'il barbouilla d'une espèce d'onguent composé de miel, de sucre et d'émétique. Ainsi badigeonnés, les petits macaques furent remis en liberté. Les parents, inquiets depuis qu'ils avaient disparu et qui épiaient leur retour, témoignèrent beaucoup de joie, en les voyant revenir ; et leur premier soin fut de les débarrasser de l'enduit qui salissait leur pelage et les rendait presque méconnaissables. La substance à enlever étant douce et sucrée, l'opération n'avait rien de désagréable pour les père et mère. Mais le plaisir ne fut pas d e longue durée ; l'émétique eut le prompt et entier effet qu'on lui connaît, et dés ce moment, les singes furent à tout jamais dégoûtés des cannes à sucre clé l'Anglais.

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