LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie


IX. - DE NOUVELLES CONNAISSANCES, LE GUÉPARD.
Le martinet alpin. - Des grappes d'oiseaux. - Le klecho ou oiseau-épée. - Un nid curieux. - Un nourrisson en danger. - L'acanthylis épineux. - Le guépard ou léopard de chasse. - En chasse. - Un troupeau surpris. - Un chasseur désappointé. - La chasse d'un prince indien. - Lutte contre un guépard.


Il y a longtemps que je vous ai parlé des hirondelles ou des martinets ; je n'ai cependant pas encore épuisé la liste de toutes les espèces qui existent.

Le martinet alpin se rencontre très fréquemment dans les Indes ; je l'ai trouvé dans toutes les montagnes, sur les rochers élevés qui bordent les cours d'eau: une véritable colonie s'était établie au bord de l'Indus, à une hauteur de plus de neuf cents pieds.

Un peu plus grand que le martinet de murailles, le martinet alpin a cinquante-deux centimètres d'envergure. Il est gris brun foncé avec la gorge et le ventre blanc, et la poitrine traversée par une raie brune.

En Europe, il se montre clans toute la chaîne des Alpes et dans la plupart des montagnes de l'Italie, de la Grèce et de l'Espagne ; il ne vit cependant pas exclusivement dans les hautes régions. En Suisse, il est commun sur les clochers des villes et des villages.

Aussi turbulent, aussi actif quo le martinet de murailles, il vole rapidement, crie tout autant et d'une manière non moins désagréable ; il s'élève si haut dans les airs qu'il y disparaît complètement aux regards, mais on entend encore son cri qui ressemble assez à celui de la crécerelle.

Ces oiseaux sont remarquables par une habitude qui leur est particulière : on les voit s'arrêter dans leur vol et s'accrocher par les ongles aux blocs de pierre situés dans les environs de leurs nids ; aux premiers qui se sont accrochés, d'autres viennent s'attacher, et à ces derniers, d'autres encore, formant ainsi une chaîne oscillante et animée. Un instant après, ils se séparent, volent et recommencent leurs cris accoutumés.

Le martinet alpin est très sociable ; il est bien rare qu'une paire soit seule ; au contraire, plusieurs couples sont toujours réunis. Ils nichent dans Ies crevasses des rochers. Leur nid est plat ; sur la charpente formée de rameaux grossiers, repose une première couche de paille, puis une seconde couche de feuilles, de chiffons, de morceaux de papier, etc., le tout agglutiné par une masse solide, brillante, qui n'est autre chose titre la salive desséchée de l'oiseau, et qui fait paraître le nid comme entièrement recouvert d'un verni mal appliqué, ou plutôt de bave de limace.

Plus petit que l'espèce précédente est le klecho, qui habite l'Inde et les îles Fortunées et que les Malais appellent oiseau-épée

Caractérisé par un corps élancé, des ailes très longues, une queue très fourchue dont les grandes plumes extérieures dépassent de beaucoup les autres, et par l'allongement, en forme de huppe, des plumes de la tête, cet oiseau a le dos d'un beau vert métallique, les couvertures supérieures de l'aile bleues, les rémiges et les rectrices noirâtres avec les barbes externes bleues, tes épaules et le ventre blancs, la gorge et la poitrine gris cendré, L'oreille est marquée d'une tache d'un brun-roux chez le mâle, noir chez la femelle.

Le klecho diffère notablement des autres oiseaux de la même famille, sous le rapport des moeurs et des habitudes ; ils vivent dans les jungles, dans les fourrés, dans les plaines. Tantôt par troupes nombreuses, tantôt réduits à quelques individus seulement, je les voyais se percher sur les arbres secs, dépouillés de leur feuillage, ou fendre l'air d'un vol rapide. Cependant, ils aiment, comme nous, le voisinage des cours d'eau.

La huppe est rabattue au repos ; quand ils volent, ils font entendre un cri perçant qui trahit de loin leur présence, tandis que, lorsqu'ils sont perchés, ils disent une petite chanson qui ressemble un peu à notre gazouillement.

<, Cet oiseau construit son nid d'une façon toute particulière. Tandis que les autres espèces nichent le long des rochers ou des murailles, dans des fentes, dans des crevasses, lui, établit son nid sur les branches les plus élevées. Ce nid, par sa forme demi-sphérique, par la manière dont les matériaux sont disposés, ressemble assez à celui de la salangane, dont je vous parlerai plus tard ; il est cependant bien plus petit, bien moins profond. Fixé à un petit rameau horizontal qui en forme la paroi postérieure, il ressemble ainsi à une petite coupe, et est à peine suffisant pour recevoir un œuf. Les parois en sont excessivement minces : on dirait une feuille de parchemin. Elles sont formées de plumes, de lichens, d'écorces, le tout lié ensemble par une matière visqueuse, très probablement par de la salive... Le nid est si petit, si fragile, que l'oiseau, ne pouvant s'y poser, se tient sur la branche, et couvre, avec son ventre, le nid et l'œuf unique qui s'y trouve ; celui-ci, de forme ovale très régulière et relativement gros, est d'un bleu azuré qui pâlit lorsqu'il a été vidé. L'oiseau niche deux fois par an, et le môme nid sert pour ses deux couvées.

Cette disproportion apparente entre la taille de l'oiseau, la grandeur de son nid et celle de son œuf, me rendit curieuse d'observer le jeune. Peu de jours après son éclosion, il ne devait évidemment plus pouvoir se loger dans le nid. En effet, peu de jours après sa naissance, le petit remplissait entièrement son nid ; à ce moment, il le quitta, et prit la posture qu'avait la femelle quand elle couvait, c'est-à-dire qu'il se tint sur la branche, son ventre reposant sur le nid. Dans cet état, ce jeune oiseau deviendrait une proie facile pour tous les rapaces, s'il ne savait, par un artifice, échapper à leurs regards. Il ne quitte pas sa position avant qu'il soit complètement développé ; mais, lorsqu'il aperçoit quelque chose de suspect, il relève le cou, hérisse toutes ses plumes, se penche en avant, de manière à cacher ses pattes ; il reste ainsi complètement immobile, et son plumage marbré de brun et de noir s'harmonise si bien avec la couleur des branches couvertes de lichens blanchâtres qu'il est fort difficile de l'apercevoir. "

On peut couper la branche sur laquelle se trouve le jeune klecho, il ne bouge pas davantage ; et, en cela, il fait absolument le contraire des autres jeunes oiseaux, qui dirigent leurs becs largement ouverts vers tous les visiteurs de leurs nids, en même temps qu'ils poussent des cris plaintifs.

J'ai également rencontré, le long des rochers escarpés, des colonies nombreuses de l'acanthylis épineux, dont la tige des rectrices dépasse les barbes sous formes d'épines ou de piquants qui lui servent, sans doute, à grimper.

Cet oiseau, un peu plus grand que le martinet alpin, a la tête, la partie supérieure du cou, les ailes, la queue et les flancs d'un noir sombre, à reflets d'un bleu verdâtre ; le dos et les épaule, sont d'un brun cendré qui tranche avec le blanc pur du menton, de la poitrine et de la nuque ; le ventre est d'un brun de suie. Facilement reconnaissable par sa taille, la légèreté et la rapidité de ses mouvements, le martinet épineux erre dans le pays, sans direction déterminée ; il m'a semblé qu'il ne restait guère plus de deux ou trois jours dans un même endroit.

Dans la description que j'ai faite des chasses auxquelles se livrait, il y a plusieurs siècles, le grand Khan, il est question de lions et de léopards dressés à prendre le gibier. Le léopard de chasse, ou guépard, est encore aujourd'hui employé, dans l'Inde, à la capture de l'antilope ; et, planant au-dessus des jungles, j'ai été plusieurs fois témoin de cet émouvant spectacle.

Le guépard tient à la fois du chat et du chien ; il a, du chat, la tête et la longue queue, et du chien, tout le reste du corps ; sa hauteur est de près de soixante-dix centimètres. Il est svelte, élancé ; ses oreilles sont larges, un peu tombantes ; sa fourrure, d'un gris jaunâtre pâle, est marquée de taches noires et brunes ; ces mêmes taches se retrouvent sur la queue où elles forment des C'est un véritable animal des steppes, qui compte plus sur son agilité et sa souplesse que sur sa force pour trouver sa nourriture. Comme il ne court ni très vite, ni très loin, il doit employer la ruse et les embûches pour s'emparer de sa proie.

Lorsqu'il aperçoit un troupeau d'antilopes ou de cerfs, il se tapit à terre ; rampe silencieusement, cherchant â échapper l'oeil vigilant de la victime.

Comme il avance contre le vent, il peut approcher de très près ; si le guide du troupeau lève la tête, il se couche et demeure immobile ; il arrive ainsi à une quinzaine de pas de la bête qui se trouve à sa portée ; alors il s'élance, l'atteint en quelques bonds, la renverse avec ses pattes, la saisit à la nuque avec sa forte mâchoire. La victime l'emporte à quelques centaines de pas de là. ; Mais bientôt elle succombe et le guépard boit avec avidité son sang chaud et fumant.

L'homme sait parfaitement utiliser pour la chasse Ies instincts du guépard ; comme le faucon, cet animal, dressé, devient un excellent auxiliaire des chasseurs asiatiques ; ils le chaperonnent, le placent sur un petit chariot à deux roues, ou sur la croupe d'un cheval, et ils le lâchent, quand ils ont découvert le gibier.

Un jour, j'aperçus un troupeau d'antilopes qui, tranquillement, passaient dans la jungle, et, à une grande distance, des chas leurs conduisant des guépards attachés par leur collier à des chariots. Des gardiens les retenaient au moyen d'une courroie passant autour des reins ; ils avaient sur les yeux un chaperon de cuir.

Les chasseurs avaient, sans doute, connaissance de la présence des antilopes, car ils marchaient dans leur direction ; ils s'arrêtèrent dans un champ de cotonniers, à environ cent mètres du gibier qu'ils convoitaient, et délièrent deux guépards qui furent aussi déchaperonnés. Je vis les carnassiers se blottir à terre, ramper lentement et silencieusement, se dissimulant de Leur mieux derrière chaque obstacle ; de temps en 'temps ils s'arrêtaient ; leur corps frémissait. L'un d'eux croyant avoir été aperçu se releva bondit, tomba au milieu du troupeau, saisit une antilope, qui s'enfuit éperdue, emportant avec elle le guépard qui, d'un second coup de patte lui ouvrit la gorge et se désaltéra de son sang,

L'autre guépard fit cinq ou six bonds hésitants ; il manqua sa proie, et s'en revint en grondant s'asseoir sur le chariot,

Un des chasseurs courut après celui qui avait atteint sa victime ; il le chaperonna, coupa la tête de l'antilope et recueillit le sang dans un vase de bois qu'il plaça sous le nez du vain queux.

Voici comment le docteur Fleming raconte une chasse au guépard d'un prince indien

" LOrsque le prince veut chasser, il fait savoir, la veille, ses intentions au maître veneur, afin que l'on soit prêt avant le jour. " On part à. l'aube, de manière à entrer en chasse vers six heures. Les voitures qui portent les guépards s'avancent en file, et le prince avec sa suite marche tout à côté, se laissant voir et entendre le moins possible. Lorsqu'on approche da lieu où l'on compte trouver des gazelles, on redouble encore de précautions, et le maître veneur qui conduit la file des voitures, s'arrange de manière à arriver sur le troupeau dans une direction telle, qu'elles n'ont pour fuir qu'une côte montante ou un terrain raboteux. Si l'on obtient ce point, toutes les chances sont pour le guépard.

Dès que l'on est en vue, on fait sortir de la cage le premier guépard et on lui ôte le chaperon, dont il avait eu jusqu'à ce moment les yeux couverts. Si quelque gazelle se trouve plus éloignée que toutes les autres, c'est vers elle qu'il se dirige ; mais si elles sont réunies en troupeau serré, on peut être certain que c'est au mâle, le plus fort, qu'il s'attaquera.

Lorsqu'il a choisi sa victime, il s'avance vers elle à pas furtifs, se glissant à travers les herbes et se traînant presque sur le ventre. La route qu'il suit n'est souvent pas la plus directe, mais c'est toujours celle qui lui permet de s'approcher le plus sans être aperçu ; quand il n'est plus qu'à une centaine de toises de la gazelle, il change subitement d'allure et s'élance vers elle à toutes jambes.

Sa course est extrêmement rapide, mais elle n'est pas longtemps prolongée. Si, après avoir franchi un espace de deux à trois cents toises, il n'a pas atteint sa proie, il renonce à la suivre. Il semble honteux, il marche lentement et se laisse approcher par ses gardiens, qui lui mettent de nouveau le chaperon et le font rentrer dans sa cage. S'il a atteint la gazelle, il la terrasse à l'instant, et continue de la tenir à la gorge jusqu'à ce quo Io chasseur soit arrivé. Celui-ci commence par mettre au guépard son chaperon, puis il coupe le cou à la gazelle, la dépèce et en donne un des membres à l'animal, qu'on ne fait rentrer dans sa cage qu'après qu'il a mangé.

Quelquefois on prend la gazelle en vie ; mais cela exige de la part du chasseur de l'adresse et de la présence d'esprit, et, avec tout cela, cette prouesse n'est jamais sans danger. Quand le troupeau de gazelles est très nombreux, on lâche quelquefois au même instant deux, trois et jusqu'à quatre guépards ; la chasse est alors très divertissante. Les spectateurs font bien de se tenir à distance jusqu'au moment où les chaperons sont mis. On a remarqué que ! os hommes à cheval sont plus exposés que les autres à être attaqués par l'animal, lorsqu'il revient dépité d'avoir manqué son coup. D

En liberté, le guépard n'attaque l'homme que lorsqu'il est provoqué ; mais il se fait quelquefois agresseur quand il se trouve en présence d'un enfant, d'une femme, d'individus faibles et isolés. Cependant, il est courageux, se défend avec opiniâtreté, et se venge quelquefois d'une manière terrible :

" Deux chasseurs, qui revenaient d'une chasse aux gazelles, aperçurent un guépard et se mirent à sa poursuite. Beaucoup d'obstacles ralentissant sa fuite, il fût atteint d'une balle. Il re-vint vers le chasseur qui l'avait blessé ; il s'élança sur cet ennemi, le fit tomber de cheval, et engagea avec lui un combat corps à corps. L'autre chasseur s'empressa d'accourir ; il mit pied à terre pour secourir son compagnon, et, au risque de l'atteindre en même temps que l'animal, il fit feu. Le coup fût mal dirigé, mais le bruit de la décharge fit changer l'aspect du combat. Abandonnant l'homme qu'il venait de terrasser, il se jeta avec fureur sur le nouvel assaillant, qui n'eut pas le temps de tirer son couteau de chasse. Le guépard l'avait saisi par la tête ; ils roulèrent ensemble au fond d'un précipice.

" Le chasseur dégagé, mais horriblement mutilé, se traîna inutilement jusqu'à ce nouveau champ de bataille ; les blessures de son camarade étaient mortelles, et il n'eut d'autre satisfaction que celle d'arracher un reste de vie au guépard épuisé par la perte de son sang.

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