LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie


XV. - D'ILE EN ILE.
Bornéo. - L'argus géant. - L'orang-outang ; ses habitudes ; ses moeurs. - Célèbes ; productions. - Les Moluques ; description. - Gilolo. - Mortay. - Ternate. - Bouro. - Céram. - Vêtements économiques. - Indigènes cruels. - Amboine. - L'hirondelle ariel ; son nid.


Bornéo, la plus grande île connue, après la Nouvelle-Hollande, recèle en abondance des diamants et de l'or que les Européens avides viennent exploiter malgré l'insalubrité du climat. Les forêts qui couvrent son sol contiennent des arbres d'une hauteur prodigieuse qui fournissent d'excellents bois de construction. Dans quelques montagnes, on trouve des bosquets de muscadiers et de girofliers ; le camphrier y croît dans toute sa perfection à côté du beau sapin qui produit la résine odoriférante, connue sous le nom de benjoin ; le poivre, le gingembre, le coton se rencontrent dans presque toute l'île.

C'est à la lisière d'une des sombres forêts de Bornéo que j'ai aperçu l'argus géant, oiseau d'une beauté singulière, qu'il est presque impossible de garder en captivité. Le plumage de cet oiseau est remarquable, moins par la vivacité des teintes que par l'élégance du dessin. Il porte au front des plumes courtes d'un noir de velours ; les plumes du cou et du haut du dos sont rayées ou semées de taches d'un jaune clair ; celles du ventre sont d'un brun roux moirées de noir et de jaune. Les barbes externes des rémiges internes sont couvertes de taches allongées d'un brun foncé, entourées d'un cercle clair, et disposées en rangs serrés sur un fond gris-rougeâtre ; les longues plumes supérieures de l'aile sont d'un beau brun-roux foncé, parcourues de raies noires d'un rougeâtre clair, enfermant entre elles des séries de points brun-rouge, entourées d'un cercle foncé, parsemées de taches et de lignes jaunâtres, de réseaux rougeâtres, et de grande taches en forme d'yeux, brillantes, entourées d'un cercle foncé et d'un liseré clair. Ces yeux, situés près de la tige, sur les barbes externes, rappellent la teinte du bronze antique. Les grandes plumes noires de la queue ont un mètre vingt centimètres de longueur ; elles sont marquées de petites taches blanches entourées d'un cercle foncé. L'oiseau est de la grosseur d'un dindon

Est-ce un homme ou un singe cet être singulier que j'aperçois appuyé contre le tronc d'un palmier ? Il a de l'homme l'attitude, l'aspect, les allures, mais c'est un singe ; c'est le fameux orang-outang, l'homme des bois, connu depuis la plus haute antiquité. C'est un de ces satyres, " de ces animaux très méchants, à face humaine, marchant tantôt debout, tantôt sur les quatre pattes, et que la grande rapidité de leur course empêche d'être pris autrement que quand ils sont malades ou très vieux. "

Bontius, qui a vécu à Java, parle de ces orangs-outangs " qui marchaient debout et se démenaient comme des hommes. Une femelle surtout se distinguait d'une manière extraordinaire. Elle était honteuse devant les hommes qu'elle ne connaissait pas et se cachait alors la face ; elle soupirait, pleurait et imitait toutes les actions de l'homme, au point que la parole seul lui manquait pour être une créature humaine. "

Il y a là, évidemment, beaucoup d'exagération.

Les Javanais prétendent que ces singes pourraient bien parler, mais qu'ils ne le veulent pas, pour ne pas être forcés de travailler. L'orang-outang de l'Asie se distingue de celui d'Afrique par la longueur considérable de ses bras, et par la forme pyramidale ou conique de sa tête, à museau saillant, qui enlève à ces animaux toute conformité avec l'homme, lorsqu'ils deviennent vieux, Lorsque l'orang-outang est jeune, son crâne ressemble au plus haut degré à celui d'un enfant, mais il se modifie peu à peu avec l'âge. Cet animal atteint quatre pieds de hauteur ; son corps est large dans la région des reins, le ventre est saillant, le cou est court et forme des plis sur le devant ; ses membres sont terminés par de longues mains et de longs doigts. La face est caractéristique : les canines font saillie au milieu de ses puissantes dents ; la mâchoire inférieure est plus longue que la mâchoire supérieure ; les lèvres sont ridées et fortement gonflées ; le nez est aplati ; les yeux et les oreilles sont petits, mais de la même forme que ceux de l'homme. Les poils, rares sur le dos et sur la poitrine, sont longs et plus fourrés sur les côtés du corps ; ceux de la figure encadrent le visage et forment barbe.

L'orang-outang recherche les grandes forêts où il peut vivre à l'abri des persécutions de l'homme, son ennemi mortel. Il a disparu de toutes les contrées habitées où on le trouvait autrefois.

Déjà, dans leur jeune âge, ces singes sont calmes ; avec l'âge, ils deviennent lourds et paresseux ; ils grimpent lourdement et avec prudence. Ils trouvent sur la cime des arbres tout ce qui leur est nécessaire, des fruits, des bourgeons, des fleurs, des feuilles, des graines, des écorces, des insectes et des œufs d'oiseaux qui forment leur nourriture.

Ils recherchent de préférence, pour y passer la nuit, les parties basses des forêts vierges, et choisissent les cimes les plus touffues pour être protégés contre la pluie et le vent. Ils se construisent une espèce de nid à cinq ou six mètres au-dessus du sol ; cet abri qui ressemble à l'aire d'un grand oiseau de proie est composé de branches épaisses cassées en morceaux ou simplement courbées, de petits rameaux garnis de feuilles desséchées et d'herbes. 37

Lorsque les orangs-outangs sont vivement poursuivis et qu'un rand damer les menace, ils cherchent un refuge sur la cime des arbres les plus élevés ; ils se cachent dans l'épaisseur du feuillage ou derrière quelque grosse branche. S'ils ne se sentent pas en sûreté, ils se sauvent de cime en cime, mais leur fuite n'est pas très rapide ; ils ne s'éloignent qu'avec une prudence calculée.

Les cavernes et les rochers qui forment à Bornéo une ceinture, abritent une multitude de nids de salanganes.

Je franchis le détroit de Macassar et j'ai devant moi la grande île de Célèbes où les chaleurs sont tempérées par les pluies abondantes et les vents frais. Des flammes qui, en plusieurs endroits 's'élevaient à une très grande hauteur, m'indiquèrent que cette île renferme plusieurs volcans en éruption.

Les côtes élevées, coupées de vallées partout verdoyantes, offrent à l'œil les plus riants tableaux: Des rivières nombreuses, se précipitant au pied des rocs énormes, viennent, en bouillonnant, tomber avec fracas au milieu des groupes majestueux des arbres les plus pittoresques.

C'est à Célèbes qu'on trouve les plantes les plus vénéneuses, notamment le fameux upas (poison), dans le suc duquel les Macassars trempent la pointe de leurs poignards dont les blessures sont toujours mortelles.

A côté de ces arbres de mort, la nature a placé les girofliers et les muscadiers ; l'ébénier, le sandal et le calambac, dont on exporte les bois précieux ; le sagoutier, dont la moelle constitue une excellente nourriture ; l'arbre à pain et beaucoup d'autres arbres fruitiers.

Si les forêts de cette île ne renferment ni tigres, ni éléphants, on y rencontre une grande quantité de cerfs, de sangliers, et un nombre infini de singes très forts et très féroces, dont les principaux ennemis sont des serpents énormes qui en détruisent beaucoup.

Je visite maintenant, l'archipel des Moluques, qui porte les caractères les plus évidents d'une terre bouleversée par quelque révolution violente : Partout on y voit des îles singulièrement coupées et rompues, des pics énormes qui s'élancent tout à coup d'une mer profonde, des rochers entassés à des hauteurs incalculables ; enfin, comme à Célèbes, un grand nombre de volcans dont quelques-uns sont éteints, mais dont les autres portent jusqu'aux nues leurs flammes blafardes. Les tremblements de terre, fréquents dans ces parages, rendent la navigation périlleuse. Le sagoutier, l'arbre à pain, le cocotier et tous les arbres fruitiers de l'Inde réussissent admirablement dans ces îles ; mais, c'est là surtout que les arbres à épices donnent les produits extraordinaires qui depuis si longtemps ont attiré l'attention des Européens,

Le giroflier s'élève jusqu'à plus de quinze mètres de hauteur et étend au loin ses branches garnies de feuilles pointues ressemblant un peu à celles du laurier : Ce sont les boutons à fleurs de cet arbre qui constituent l'épice connue des hommes sous le non: de clou de girofle. Le muscadier, dont les feuilles diffèrent peu de celles de l'espèce précédente, atteint aussi des dimension, considérables.

Je vole d'île en île ; ici les stations sont rapprochées, et je peux souvent replier mes ailes. Voici Gilolo, dont la forme irrégulière rappelle Célèbes et dans laquelle abondent les buffles, les chèvres les daims, les sangliers. Un peu au nord, c'est Mortay, qui compte peu d'habitants et dont le sol est couvert de sagoutiers.

Revenant à l'Ouest, je rencontre Ternate couverte de monta fines dont les sommets vont se perdre dans les nuages. Les oiseaux y sont nombreux et d'une rare beauté ; on remarque particulièrement l'admirable martin-pêcheur, coloré de rouge et de bleu d'azur que les naturels appellent déesse.

Tout auprès, c'est Tidor et plusieurs autres petites îles, puis Batchiam, dont les côtes possèdent des rocs de corail d'une beauté incomparable et d'une variété infinie.

Voici Pouro, qui semble surgir tout à coup d'une mer profonde et paraît entourée d'une muraille : Nulle part les mousses et les lichens acquièrent plus de développements ; ils forment, autour des sources, des amoncellements qui ressemblent à des autels de

Céram, traversée par plusieurs chaînes de montagnes, fourmille d'oiseaux: Les indigènes, peu vêtus, s'attachent sur la tête, les épaules et les genoux des bouquets de feuilles de palmier et de fleurs. Pour surprendre leurs victimes, ils se placent en embuscade dans les bois, se couvrent de mousse et prennent dans les mains des branches d'arbres qu'ils agitent d'une manière si naturelle qu'on croirait voir des arbres véritables ; ils laissent passer l'ennemi, l'assassinent par derrière et s'enfuient rapidement, non sans avoir coupé la tête qu'ils emportent comme un trophée dans leur village où ils sont reçus en triomphe.

Voici Amboine, arrosée par de nombreux ruisseaux et embellie par de précieuses cultures. Dans ses forêts solitaires dont le soleil perce difficilement l'épais feuillage, on remarque le vif éclat des couleurs de plusieurs espèces de plantes parasites fixées sur de gros troncs d'arbres ; on voit, dans les endroits moins fourrés, le eussonia aux larges feuilles palmées, le henné, en usage dans tout l'Orient ; des jasmins à l'odeur suave, des mangliers, des aloës, des tournesols bigarrés. La mer est peuplée de coquillages brillants, de poissons bizarres, de crabes monstrueux.

Le petit groupe volcanique de Banda tire son nom de l'île principale qu'on appelle aussi Lantor ; on y cultive principalement le muscadier.

Partout, dans ces îles, j'ai retrouvé des salanganes ; mais j'ai rencontré aussi un autre oiseau de ma famille , la gracieuse petite hirondelle ariel, qui ne mesure pas plus de huit centimètres de longueur totale, et dont voici le portrait

Son dos est bleu foncé, sa tête roux-marron, son croupion blanc-jaunâtre tirant sur le brun. Son ventre est blanc, ses flancs sont marbrés de roux-de-rouille ; sa gorge est finement rayée de noir ; elle a les ailes et la queue d'un brun foncé, l'œil brun-noir, le bec noir.

Ma nouvelle petite amie a absolument les mêmes habitudes et les mêmes mœurs que l'hirondelle de fenêtre. Elle niche par colonie, et n'établit pas toujours son nid sous les toits des maisons, mais aussi le long des parois des rochers, partout où elle trouve un endroit convenable et abrité ; elle recherche le voisinage de l'eau.

Son nid est caractérisé par la présence d'un long couloir d'entrée en forme de col de bouteille. Ces petites demeures sont groupées, sans ordre apparent, quelquefois au nombre de plus de cinquante, les unes à, côté des autres. Tous les membres de la colonie travaillent en commun à la construction des nids. J'ai vu cinq ou six ariels occupées à bâtir un seul nid, ou du moins apportant de la terre à la femelle qui le construisait. Le couloir d'entrée se dirige tantôt en haut, tantôt en bas, tantôt sur l'un ou sur l'autre côté. La forme de ces nids diffère essentiellement de celle des espèces européennes.

Plus d'une surprise nous est encore réservée dans la Nouvelle-Guinée et en Australie.

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