LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie


XVI. - LA TERRE DE PAPOUS.
La Nouvelle-Guinée ; ses habitants. - Le plus gros des pigeons. - Le goura couronné. - Le goura de Victoria. - Le casoar à casque. - Un oiseau sauvage. - Description du casoar. - Les oiseaux de paradis. - Fables invraisemblables. - Un oiseau sans pattes. - Le paradisier papouan. - Le paradisier rouge. - La chasse aux paradisiers. - Encore l'hirondelle ariel.


La Nouvelle-Guinée ou Papouasie, terre de Papous, peut être considérée comme le dernier anneau de la longue chaîne d'îles qui relie l'ancien continent à la Nouvelle-Hollande.

Les côtes sont généralement élevées ; dans l'intérieur, les montagnes semblent entassées sur les montagnes ; des cataractes roulent en bondissant, de rochers en rochers ; et on aperçoit, à plusieurs lieues de distance, leurs flots écumeux qui semblent s'engloutir dans les vallées. Toutes les hauteurs sont couronnées d'une riche végétation ; les rivages sont couverts de cocotiers ; on est frappé d'étonnement et d'admiration à la vue d'un si beau pays. Pourquoi faut-il que les habitants de cette terre privilégiée soient encore plongés dans l'ignorance et la barbarie?... Il y a, dans l'intérieur, une race d'hommes, les Alfourous, qui vivent dans des creux d'arbres ; ils montent dans leur repaire au moyen d'un morceau de bois entaillé qu'ils tirent après eux crainte de surprise. La grande masse des habitants paraît composée de nègres océaniens, robustes, grands, d'un noir luisant. Ils ont la peau rude, les yeux grands, la bouche extrêmement fendue, le nez écrasé, les cheveux crépus, rudes et d'un noir brillant. L'aspect de ces hommes est effrayant et hideux. Ils ramassent leurs cheveux au sommet de la tête, en une touffe énorme, qui a quelquefois un mètre de tour ; ils ornent cette coiffure de plumes d'oiseaux de paradis, et se suspendent au cou de longs colliers formés de défenses de sangliers. Les habitations sont, la plupart, construites dans l'eau et portées sur un échafaudage.

Mais je vais vous entretenir des oiseaux véritablement merveilleux que j'ai rencontrés dans la Nouvelle-Guinée. L'absence des carnassiers, la rareté des oiseaux de proie et des grands reptiles, ont permis à un grand nombre d'espèces de se multiplier là en sécurité.

Le goura couronné et le goura de victoria sont les plus grands et les plus beaux de tous les pigeons ; leur taille atteint et même dépasse celle d'une poule. Ils portent sur la tête une superbe huppe, formée de plumes soyeuses disposées en éventail qu'ils peuvent relever ou abaisser à volonté ; ils ont le corps lourd, les ailes et la queue arrondies.

Ces oiseaux passent tout leur temps par terre ; je les voyais courir dans la forêt pour recueillir les fruits tombés des arbres, dont ils font leur nourriture. Ils ne volent que lorsqu'on les effraye ; ils vont alors se percher sur quelques basses branches où ils s'établissent également pour dormir.

Le nid est composé de branches grossièrement entrelacées, et ne renferme ordinairement que deux petits.

Voici encore un oiseau qu'il est difficile d'observer en liberté Le casoar à casque, presque de la taille d'une autruche, habite les forêts épaisses, et disparaît aux regards à la moindre apparence du danger. Il est noir avec la face d'un bleu vert et le derrière de la tête entièrement vert ; il a le cou violet en avant, rouge en arrière, l'œil brun-rouge, le bec noir et les pattes jaunâtres.

" En 1597, raconte Clusius, des Hollandais, de retour des Indes orientales, amenèrent à Amsterdam un oiseau singulier qu'on n'avait pas encore vu en Europe. Il avait été trouvé à Banda, l'une des Moluques, et les indigènes le nommaient émeu. Le prince de la ville de Lyclajo, à Java, l'avait donné à un capitaine de vaisseau. On le montra à Amsterdam pendant plusieurs mois, pour de l'argent, après quoi le comte de Salms en devint possesseur et le garda longtemps à La Haye ; il fut donné à l'électeur palatin, Ernest de Cologne, et, par celui-ci, à l'empereur Rodolphe II ; C'était un casoar. "

Les faits prouvent combien il est difficile d'observer cet oiseau en liberté. Il n'est pas rare à la Nouvelle-Guinée, mais plusieurs naturalistes, qui ont séjourné assez longtemps dans le pays, n'ont jamais trouvé l'occasion de voir un seul casoar. Ceux que l'on apporte en Europe ont été pris jeunes et élevés par les indigènes ; leur naturel s'est tellement modifié, au contact de l'homme, qu'ils sont généralement privés, doux et confiants ; on ne reconnaît plus chez eux cette sauvagerie qui, dans leurs forêts, les tient constamment éloignés.

Ce n'est pas moi qui les blâmerai d'être toujours sur leurs gardes et de fuir le danger. On sait que la perte de la liberté est le moindre des sévices exercés par l'homme sur les animaux qu'il capture.

Les indigènes assurent qu'il est impossible de prendre de vieux casoars, tant ils sont craintifs et défiants ; ils fuient au moindre bruit, et, grâce à la rapidité de leur course, ils atteignent bien vite des fourrés qui, pour l'homme, sont complètement impénétrables. Ce n'est que dans les premiers jours qui suivent l'éclosion qu'on parvient à s'emparer des jeunes. La démarche du casoar diffère essentiellement de celle de l'autruche : il trotte le corps horizontal, les longues plumes du croupion relevées, ce qui le fait paraître plus haut du derrière que de l'avant. Ses pas sont ordinairement lents et mesurés, mais, quand il veut fuir, il déploie une vitesse surprenante, se détournant très facilement, et bondissant jusqu'à plus d'un mètre cinquante centimètres de hauteur. Sa voix ordinaire, signe de satisfaction et de contentement, peut se rendre par : hou ! hou ! hou ! ... prononcé du fond de la gorge ; s'il est irrité, il souffle comme le chat et le hibou.

Il faut se méfier des casoars captifs ; toute chose inaccoutumée les excite et les met en fureur ; hommes ou animaux sont vivement attaqués ; les oiseaux cherchent à les atteindre et à les blesser avec leur bec ou avec leurs pattes. Leurs gardiens ont bientôt appris, par expérience, qu'on ne saurait être trop prudents avec eux. Ils se précipitent surtout sur les individus vêtus d'habits de couleurs voyantes, et deviennent fort dangereux pour les enfants.

Me voici en présence d'un des plus beaux êtres de la création, sur le compte duquel les histoires les plus singulières ont eu cours. Ce superbe oiseau, connu en Europe depuis plusieurs siècles, y arrivait toujours mutilé. On l'appelait oiseau de paradis, et l'on croyait, en effet, qu'une créature si belle provenait du ciel, et n'avait jamais pu vivre sur la terre... Comme on recevait toujours des oiseaux privés de pattes, on admettait qu'ils n'en avaient jamais eu, tant la mutilation que leur faisaient subir les indigènes était parfaitement dissimulée.

A la vue de ce plumage si brillant, si extraordinaire, l'imagination se donnait libre carrière, et les fables les plus invraisemblables étaient inventées pour chercher à expliquer ce qui paraissait inexplicable.

" Encore aujourd'hui, dit un de vos savants, la vue d'un paradisier ou oiseau de paradis, remplit le vulgaire d'admiration ; on comprend facilement quelle dut être la stupéfaction des gens qui n'avaient jamais quitté le continent européen, lorsqu'en 1522, un compagnon de Magellan arriva à Séville et fit connaître cet oiseau. C'est avec émotion que les naturalistes de l'époque, remplis de zèle et d'ardeur, mais bornés dans leurs moyens, considérèrent cet oiseau : c'était un des grands évènements de leur vie scientifique ; c'était la réalisation d'une espérance longtemps caressée en vain, que de voir enfin une peau mutilée d'oiseau de paradis. 91 faut leur pardonner s'ils acceptèrent comme vérité des fables qui trouvèrent créance longtemps encore. On regardait ces oiseaux comme des sylphes aériens, peuplant les airs, accomplissant toutes leurs fonctions en volant, ne se reposant que quelques instants, en se suspendant par leurs longues queues aux branches des arbres. C'étaient des êtres supérieurs qui n'avaient nul besoin de fouler le sol, qui se nourrissaient dans l'éther, ne faisant que humer la rosée du matin.

C'est en vain que le compagnon de Magellan lui-même déclare que ces oiseaux n'étaient pas dépourvus de pattes, et que plusieurs naturalistes venaient combattre cette erreur ; tout était inutile, le vulgaire restait fidèle à ces croyances poétiques. "

Dans la suite, aucun des voyageurs qui donnèrent des détails sur les oiseaux de paradis, ne sut se mettre complètement à l'abri des préjugés. C'est à Lesson, naturaliste français, qu'on doit les premières indications exactes.

Las paradisiers diffèrent de tous les oiseaux du même ordre parleurs couleurs splendides, leur stature élégante ; ils sont caractérisés par les faisceaux de plumes longues, filiformes, que le mâle porte sur les flancs, et peut étaler et serrer à volonté ; en outre, la queue est pourvue de deux plumes plus longues encore, grêles, aplaties ou tordues.

Plusieurs variétés de ces jolis oiseaux vivent à la Nouvelle-Guinée : Celui qu'on a nommé le paradisier apode, pour consacrer le souvenir des anciennes fables , est à peu près de la grosseur d'un choucas ; sa couleur dominante est un beau brun châtain ; son front est d'un noir velouté avec des reflets vert-émeraude ; le sommet de la tête et la partie supérieure du cou sont d'un jaune citron ; la gorge est vert doré ; les longues plumes des côtés sont d'un jaune orange vif et pointillées de rouge-pourpre à leur extrémité.

La variété connue sous le nom de paradisier papouan est un peu plus petite que la précédente espèce. Cet oiseau a le dos châtain clair, avec le ventre d'un brun rouge foncé. Le jaune pâle domine sur la tête, le cou et les côtés ; le front et le bec sont entourés de plumes noires à reflet verdâtre ; la gorge est d'un beau vert émeraude.

Le paradisier rouge, à peu près de la taille du précédent, en diffère par une huppe d'un vert doré que l'oiseau peut dresser à volonté. Fauve-grisâtre sur le dos, avec une bande de même couleur en travers de la poitrine qui est d'un beau rouge ainsi que les ailes, il a le pourtour du bec et une tache en arrière de l'œil d'un noir velouté. La gorge est vert-émeraude ; les touffes de plumes des flancs dont l'extrémité est tordue sont d'un rouge carmin brillant. Deux longs brins de la queue sont larges, aplatis, recourbés en dehors et d'un rouge brun.

Les trois espèces se ressemblent beaucoup sous le rapport des habitudes et des mœurs.

Ce sont des oiseaux vifs, remuants, très prudents ; on dirait qu'ils comprennent le danger que leur fait courir la richesse de leur splendide livrée ; il me paraît, en effet, impossible de les observer dans leur patrie sans être saisi d'enthousiasme. Ils habitent tantôt la côte, tantôt l'intérieur de l'île, suivant l'époque de la maturité des fruits. Leur voix est rauque, mais s'entend d'assez loin ; c'est surtout le matin et le soir que leur appel retentit dans la forêt. Le cri du paradisier rouge est moins désagréable que celui des autres espèces : je l'entendais si souvent que j'en ai conclu que l'oiseau devait être très commun.

Dès le lever du soleil, les oiseaux de paradis se mettent en quête des fruits et des insectes dont ils se nourrissent ; s'ils passent d'un canton à un autre, ils sont par bandes de trente à quarante individus. Ils crient comme des étourneaux quand ils volent contre le vent, surtout si une forte brise met le désordre dans leur rang. Lorsqu'ils sont surpris par une tempête, ils ont l'instinct de s'élever très haut pour échapper à la tourmente ; parfois leurs longues plumes s'embrouillent tellement les unes dans les autres qu'ils ne peuvent plus voler ; ils tombent et restent couchés jusqu'à ce qu'ils se soient un peu remis et qu'ils puissent gagner un arbre voisin,

J'ai vu les indigènes se tenir avec ardeur à la chasse des oiseaux de paradis pour s'emparer de leur dépouilla, et voici comment ils procèdent:

Ils choisissent un des arbres les plus élevés où ces oiseaux ont coutume de venir percher pendant la nuit, et se construisent, parmi les branches, une petite hutte avec des feuilles et des rameaux. Une heure environ avant le coucher du soleil, un habile tireur y monte, armé d'un arc et de flèches, il attend dans un profond silence. Dès que les oiseaux arrivent, il les tire l'un après l'autre, et l'un de ses compagnons, caché au pied de l'arbre, les ramasse.

C'est en observant l'une de ces chasses que j'ai trouvé une nouvelle colonie de mes petites amies les hirondelles ariels ; mais, cette fois, les mignons oiseaux nichaient dans des trous d'arbres, d'où ils sortaient leur jolie tête rousse comme pour me souhaiter la bienvenue.

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