Me voici arrivée en Australie, la plus grande île de l'Océanie, qui est aujourd'hui, dans toutes ses parties, une possession anglaise.

L'Australie ou Nouvelle-hollande, est loin d'avoir été complètement explorée par les Européens. Les côtes seules, découpées d'un grand nombre de golfes, de baies, de havres, de récifs, de canaux et d'îlots arides, sont mieux connues.

Des taillis et des marécages en couvrent une grande étendue ; de nombreuses chaînes de montagnes s'élèvent par étages successifs jusqu'aux limites les plus extrêmes de l'horizon.

Je suis dans le pays des merveilles et des contrastes, et, au risque de passer pour une hirondelle radoteuse, je vous répèterai ce que tous les voyageurs disent de l'Australie

L'été s'y produit quand on a l'hiver en Europe, et que les hirondelles et les rossignols sont obligés d'en partir ; le baromètre s'éIève â l'approche des orages et s'abaisse pour annoncer le beau temps ; c'est le vent du nord qui apporte la chaleur, tandis que le vent du sud amène le froid.

L'Européen n'est pas peu surpris quand il s'aperçoit que les plus chétives cabanes sont construites en cèdre, et les barrières des champs en acajou ; son étonnement n'est pas moins grand lorsqu'il voit le myrte et d'autres bois précieux employés comme combustibles. Bizarrerie plus grande encore : Les cygnes sont noirs et les aigles sont blancs ; un animal d'assez grande taille qui tient de l'écureuil et du daim, saute au moyen de sa queue ; une sorte de taupe porte un bec de canard et pond des oeufs ; un poisson, laissé quelquefois par le reflux, sur la grève, bondit comme une grenouille à I'aide de ses nageoires, et regagne l'élément liquide ; des poires qui n'ont pas de pulpe, ont la queue attachée à leur gros bout ; des cerises portent leur noyau à l'extérieur, etc.

Je suis en présence d'un oiseau plus grand que le casoar, moins grand que l'autruche, et qui a, comme tout ce qui appartient â l'Australie, un cachet d'originalité.

L'émou a le port de l'autruche, mais il est plus ramassé, a le cou plus court et les jambes moins hautes. Les plumes offrent nette singularité qu'elles sont doubles, c'est-à-dire que chacune a deux tiges, excessivement flexibles et pourvues de barbes lâches ; elles sont très longues et étroites,

Si les émous ne sont pas troublés par les hommes blancs, leurs plus redoutables ennemis, ils sont peu craintifs ; on les rencontre en petites troupes composées de trois à cinq individus ; mais ils ne forment jamais de grandes bandes.

Partout où il y a de l'herbe et de l'eau, on entend, au lever et au coucher du soleil, le cri guttural de l'émou qui rappelle le bruit du tambour. Dans les parties vierges du continent, il aime ; â paître sur les vastes plaines ou sur les collines balsatiques ; mais, dans les lieux fréquentés par les troupeaux de boeufs et de mou tons, les individus, en petit nombre, qui ont survécu à cette aurore de la civilisation, cherchent les abris des taillis ou des forêts, prennent leur nourriture dans les ravins et les vallées étroites, donnant toujours la préférence à la végétation luxuriante des terrains où ont campé les moutons.

Comme le chameau, l'émou peut avaler une grande quantité de liquide, et par une température moyenne, vivre plusieurs jours sans renouveler sa provision. Même par les fortes chaleurs de L'été, j'en ai rencontré dans les lieux éloignés de l'eau, à des distances de quinze à vingt milles. Quant il veut boire, il s'arrête sur la rive pendant quelque temps et regarde avec le plus grand soin s'il n'y a pas d'ennemis ; tout à coup il se précipite vers l'eau, en prend une bonne provision, remonte avec promptitude, et, s'il ne voit aucun danger, il se retire tranquillement. "

" Je vais, dit Ramel, signaler quelques faits caractéristiques des moeurs de l'émou

" En 1845, j'eus un merveilleux exemple de son courage maternel. Dans les plaines du bas Galburn, j'aperçus un vieil oiseau entouré d'une douzaine de petits qui avaient à peine atteint la moitié de leur croissance ; j'eus le désir de m'emparer de l'un d'eux. Je les avais approchés à peine d'un mille sans qu'ils m'eussent aperçu ; mais, dès qu'ils me virent, ils prirent la fuite en très bon ordre, le vieux formant l'arrière-garde.

" J'avais avec moi un grand lévrier pour la chasse au kanguroo ; il devança un peu mon cheval pour s'élancer sur un des jeunes. A ce moment, la mère se retourne vers le chien comme i1 saisissait un petit et lui fit lâcher prise. Le chien revient à la charge et s'empare encore du petit ; le vieil émou saute sur son dos, le jette à terre et .le frappe de ses pattes. Sur ces entrefaites j'arrive, et je mets en fuite les émous. Quand, une troisième fois, le chien eut pris un des petits, le vieil émou se ruait de nouveau sur lui ; ma présence l'arrêta. Bel et puissant animal, reconnu comme un rude jouteur, mon lévrier avait été complètement battu par le vieil émou,

Voici un exemple du singulier effet produit sur l'émou par une subite alarme

" Je parcourais à cheval les plaines de Morton, accompagné de trois jeunes chiens qui n'avaient jamais chassé l'émou. Tout à coup ils me quittent, s'élancent dans un petit fourré d'acacias et commencent à aboyer, signe certain qu'ils avaient devant eux un ennemi qu'ils n'osaient pas attaquer. Je pique mon cheval et me trouve en présence d'un gros émou, évidemment très effrayé. Son corps et son long cou formaient une ligne presque verticale, et ses plumes étaient hérissées à angle droit. A cet aspect si extraordinaire, mon cheval, effrayé, recula. L'émou s'enfuit dans la plaine, mais tellement désorienté par l'aboiement des chiens, qu'il ne put trouver sa route. Pendant un temps considérable, il tourna en rond au milieu de la meute, aussi épouvantée que lui, sans qu'il me fût possible de faire avancer mon jeune cheval. A la fin, un de mes chiens sauta au cou de l'émou et le terrassa. " L'émou est un excellent coureur ; souvent les chiens refusent de suivre sa piste parce qu'ils craignent les coups de pieds de l'oiseau ; on dit que d'un seul de ces coups, il peut fracturer la cuisse à un homme ou tuer un carnassier.

Les indigènes ont une singulière façon de chasser cet oiseau Ils l'attaquent au moment où il vient boire. Placés en embuscade, au coucher du soleil, au moment où tous les oiseaux vont se désaltérer, ils s'élancent de leur cachette quand ils ont vu un émou courir à l'eau, forment un cercle autour de l'animal, qui bientôt tombe sous leurs flèches. D'autres fois, ils montent sur un arbre qui domine le lieu où l'oiseau vient boire, et, au moment où il fait sa provision d'eau, ils laissent tomber sur lui une lourde flèche.

Il y a de cela longtemps, bien longtemps, un voyageur écrivait à l'un de ses amis qu'un navire, envoyé pour explorer la Nouvelle-hollande, était de retour, et que l'équipage avait trouvé dans ce pays des vaches marines, des perroquets et des cygnes noirs.

Et l'ami de se récrier ! ... Comment croire, en effet, à une pareille anomalie ? ... Peut-on se faire à l'idée d'un cygne noir ?... Oui, cet oiseau est presque aussi connu fille le cygne blanc, et sa beauté, son élégance ne le cèdent en rien â celles de son congénère.

Le cygne noir a le cou relativement plus long que le cygne blanc, sa tête est petite et bien conformée ; son plumage est d'un noir brunâtre presque uniforme, avec les bordures des plumes tirant davantage sur le gris-noir. Cette couleur noire contraste admirablement avec le blanc éclatant des rémiges. L'œil est rouge écarlate ; le bec est rouge carmin ; les pattes sont noires.

Le cygne noir se montre encore en quantités innombrables dans les parties inexplorées du continent australien ; ils fréquentent les lacs et les grands étangs. Leur nid consiste en un grand amas d e plantes marécageuses et aquatiques de toute espèce ; tantôt il lotte sur la nappe liquide, tantôt il est établi sur quelque flot ; les œufs, au nombre de cinq ou sept, sont d'un vert pâle avec quelques taches plus foncées.

Cet oiseau crie fréquemment ; il fait souvent entendre un appel singulier, assez semblable à un son de trompette étouffé. 11 est querelleur et méchant avec les animaux plus faibles que lui.

Il n'est pas étonnant que le cygne noir ait conquis l'admiration des premiers voyageurs qui le rencontrèrent en Australie. A la nage, il est fort élégant ; mais il est vraiment magnifique lorsque, prenant son essor, il étale ses rémiges, dont la blancheur éclatante tranche superbement sur le noir du reste de son plumage.

Quand plusieurs de ces oiseaux volent de concert, ils forment une ligne oblique, étendant devant eux leur long cou. Le bruissement de leurs ailes, se mêlant à leur voix de clairon, produit, de loin, un ensemble sonore et harmonieux.

On leur fait, en Australie, une chasse sans pitié ; on enlève leurs œufs ; on les poursuit sans cesse ; on les tue pour le plaisir de les tuer. J'ai vu des canots remplis jusqu'au bord de cadavres de cygnes noirs.

Les mammifères sont rares â la Nouvelle-hollande, et ceux qu'on y rencontre ne sont en quelque sorte que des êtres ébauchés ; cette contrée est, par contre, le vrai paradis des oiseaux.

" Au milieu du vert feuillage des arbres à gomme brillent, comme autant de fleurs vivantes, les cacatoës étincelantes ; sur les fleurs jaunes des acacias se détache le plumage écarlate des perruches roses. Autour des fleurs à nectar voltigent les loris, tandis que les petits platycerques animent les prairies désertes de l'intérieur des terres. Les perroquets parcourent les rues des villes et des villages, où, comme les moineaux en Europe, ils couvrent les routes et les cours des maisons. Lorsque le colon rentre ses récoltes, des centaines de ces oiseaux se pressent devant sa grange, cherchant dans la paille les grains qui ont pu échapper aux fléaux. "

Ils se réunissent en bandes innombrables, partant des forêts où ils sont établis pour parcourir les plaines et les campagnes. Au milieu de l'obscurité de l'épaisse forêt volent les blancs cacatoës, semblables à des fantômes ; d'autres, avec leurs ailes écarlates et leur écharpe couleur de feu, semblent les créatures fantastiques d'un rêve. Ceux qui ont éprouvé tout le charme qu'exerce sur les créatures la végétation luxuriante des tropiques, savent combien ce sentiment devient vif, lorsqu'à ce spectacle s'ajoute celui des êtres qui animent ces paysages !

Les cacatoës sont caractérisés par leur plumage blanc mêlé de rouge pâle dans quelques espèces et par la huppe formée de plumes longues et étroites disposées sur deux rangs, et qu'ils peuvent abaisser ou redresser à volonté.

Le matin, comme les perroquets d'Afrique, ils saluent l'aurore de leurs cris retentissants ; puis, s'élevant dans les airs, ils se dirigent vers quelque champ couvert de moisson, où ils sont certains de trouver une abondante pâture. Lorsqu'ils sont rassasiés, ils retournent dans la forêt pour y faire une tranquille digestion.

C'est tantôt dans un arbre, tantôt dans les crevasses d'un rocher que chaque paire de cacatoës choisit un creux convenable pour y établir son nid. La femelle y dépose deux œufs blancs, un peu pointus, semblables à ceux d'une petite poule

Les cultivateurs détestent ces oiseaux à cause des dégâts qu'ils occasionnent, et ils mettent tout en oeuvre pour les détruire ; aussi, ils deviennent extrêmement défiants, et, comme les singes, ils déploient dans leurs maraudes une ruse extrême.

La chasse que leur font les Australiens est très curieuse ; leur arme consiste en un morceau de bois en forme de faucille qu'ils lancent avec adresse à une distance de plus de cent pieds. Cette arme fend l'air en décrivant des cercles, et, quoiqu'elle s'écarte de la ligne droite, elle atteint presque toujours le but. Déjà, en Afrique, j'avais vu employer cette même arme faite en bois et en fer. C'est de préférence dans les endroits où de grands arbres entourent un cours d'eau, que les indigènes se mettent à la poursuite des cacatoës ; c'est là, du reste, qu'on les rencontre en troupes immenses, grimpant de branche en branche et volant d'arbre en arbre.

Le chasseur s'avance prudemment, glissant entre les arbres, rampant entre les buissons pour ne pas troubler la vigilance des oiseaux. Une agitation générale lui révèle qu'il a été entendu : les oiseaux sentent, en effet, qu'un danger dont ils ne peuvent encore se rendre compte, les menace. Alors le chasseur se montre à découvert. Tous les perroquets s'élancent pour fuir, mais l'arme est lancée avec une extrême vigueur ; elle glisse en tournoyant à la surface de l'onde, puis remonte en décrivant une courbe et arrive au milieu des oiseaux épouvantés ; un second, un troisième, un quatrième de ces singuliers projectiles sont lancés de la même façon. En vain les cacatoës cherchent à fuir ; la marche capricieuse de l'arme paralyse leurs mouvements. Un est touché, puis un autre ; chaque coup porte ; ils tombent par terre assommés ou les ailes brisées. On les entend crier de douleur et de colère, et, lorsque le chasseur a achevé son oeuvre de destruction le reste de la bande se rassemble pour aller chercher un asile dans les cimes les plus élevées et les plus touffues.