LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie


XVIII. - QUATRE TYPES CURIEUX.
Le martin-chasseur géant. - Chœur d'esprits sauvages. - Exploits de Jean le Rieur. - L'oiseau-lyre ; ses habitudes ; ses mœurs ; son talent d'imitation ; son nid. - L'ornithorynque paradoxal. - Un mammifère à bec de canard. - Contes invraisemblables. - Le kanguroo. - Une chasse au kanguroo géant.


Il en est, sans doute, bien peu, parmi mes lecteurs, qui connaissent Jean-le-rieur. Il m'a fallu venir en Australie pour rencontrer ce personnage qui n'est autre qu'un martin-chasseur, un gros oiseau dont le corps a près de cinquante centimètres de longueur.

Le paralcyon ou martin-chasseur géant a le dos brun foncé, le ventre fauve blanchâtre ; le bas du dos et les couvertures supérieures des ailes sont bleus ; les plumes de la tête, longues et pointues, sont rayées de brun le long de la tige ; l'oreille est surmontée de plumes noires soyeuses ; les rémiges sont d'un brun noir avec du blanc à la base ; les rectrices sont d'un rouge brun rayées de noir.

Cet oiseau est véritablement remarquable, et les premiers naturalistes qui ont mis le pied sur le sol de l'Australie signalent le paralcyon géant.

"Il attire l'attention non seulement par sa taille, mais encore par sa voix singulière. En outre, loin d'être craintif, on le voit accourir près de tout ce qui excite sa curiosité. Il vient souvent se placer sur l'arbre au pied duquel le voyageur a établi son campement, et il examine gravement comment il allume son feu, comment il prépare son repas. D'ordinaire, on ne remarque sa présence que lorsqu'il fait entendre sa voix, consistant en une sorte de ricanement rauque. Ce cri est tellement singulier que tous les voyageurs en sont frappés, et ce ricanement, que l'on entend de très loin, est sans doute ce qui lui a fait donner son nom de Jean-le-rieur. "

Ce cri bizarre ressemble à un choeur d'esprits sauvages ; il effraye le voyageur qui se croit en danger ; on dirait un génie malfaisant riant du malheur de celui qui est en peine une heure avant le lever du soleil, dit un naturaliste, le chasseur est réveillé par des cris sauvages, comme ceux d'un essaim d'esprits farouches qui l'entoureraient en poussant des clameurs et des ricanements. C'est le chant du matin de Jean-le-rieur, par lequel il annonce à ses compagnons l'approche du jour. A midi, on entend les mêmes cris, et quand le soleil disparaît à l'occident, ils retentissent de nouveau dans toute la forêt. Je n'oublierai jamais la première nuit que je passai en Australie, à la belle étoile.

"Après un sommeil agité, je m'éveillai à la pointe du jour ; mais il me fallut un certain temps pour me rappeler où je me trouvais, tant était grande l'impression que faisaient sur moi des bruits inaccoutumés. Le cri infernal du paralcyon géant se mêlait au sifflement de la pie, au chant rauque de la grande poule pattue, aux clameurs discordantes de millions de perroquets, et le tout se fondait dans un ensemble tellement singulier, qu'on ne peut le décrire. Depuis, j'ai souvent entendu ce même concert, mais jamais il ne m'a produit la même impression.

"Le Jean-le-rieur est l'horloge de l'habitant des bois, bien loin d'être craintif, cet oiseau semble aimer la société ; aussi vient-il demeurer au voisinage des tentes ; sa familiarité, et, plus encore, la guerre qu'il fait aux serpents, 'le rendent, pour les habitants des bois, un oiseau sacré... ..

A Une fois, je vis deux perchés sur une branche morte d'un vieil arbre, et de là s'élance de temps à autre à terre. " Ils avaient tué un serpent, comme je m'en aperçus plus tard, et leur babil, leur ricanement témoignaient toute la joie qu'us avaient de ce succès. Je ne sais s'ils mangent les serpents ; en fait de reptiles, je n'ai jamais trouvé que des lézards dans l'estomac de ceux que j'ai ouverts. " Travaillez, oiseaux utiles ! Purgez le sol des reptiles immondes ; rendez-vous les auxiliaires de Mouline ; en récompense de vos services, il vous ouvrira l'estomac pour éclaircir quelque point d'histoire naturelle ! ... ..

Mieux favorisée que les voyageurs qui sont restés plusieurs jours en observation sans arriver à découvrir l'oiseau dont ils entendent la voix claire et perçante retentir de tous côtés, j'ai vu souvent le ménure superbe, appelé simplement la lyre, ou l'oiseau lyre.

Aucun oiseau de la Nouvelle-Hollande n'a jeté plus de dissidence parmi les naturalistes classificateurs. Les uns, considérant particulièrement sa taille et la forme de sa queue, le rangeaient parmi les gallinacés et en faisaient un faisan, tandis que d'autres le classaient parmi les passereaux, dans le voisinage des merles et en faisaient un oiseau chanteur.

C'est cette dernière classification qui nous parait devoir être adoptée, car le ménure a le genre de vie des oiseaux appartenant à cette division, et fait un très bon usage de son appareil vocal.

Un peu moins grand que le faisan, cet oiseau a le plumage d'un brun grisâtre. Son nom spécifique d'oiseau lyre lui vient du développement singulier des plumes qui s'observe chez le mâle Ces plumes sont de trois sortes : douze plumes ordinaires très longues, à barbes effilées et écartées ; deux médianes garnies d'un côté seulement de barbes serrées, et deux extérieures courbées comme les branches d'une lyre, dont les barbes internes, grandes et serrées, représentent un large ruban, et dont les externes sont courtes, ne s'élargissent quo vers le bout.

Le ménure passe à terre la plus grande partie de son existence ; il ne vole qu'exceptionnellement ; et c'est en courant qu'il parcourt les forêts et qu'il grimpe contre les parois escarpées des rochers ; il peut, en sautant, s'élever brusquement jusqu'à trois mètres de hauteur et atteindre ainsi la pointe des rocs. Il ne se sert de ses ailes que lorsqu'il veut visiter le fond d'un ravin.

Extrêmement prudent à l'égard des autres animaux, il fuit surtout l'homme qui est son plus redoutable ennemi. Quand il court, il tient, comme le faisan, le corps allongé, la tête penchée en avant, la queue fermée et horizontale ; c'est surtout le matin et le soir qu'il montre la plus grande activité. Sa voix est très flexible, son cri d'appel est fort et perçant, son chant ordinaire ne s'entend qu'à une faible distance ; il se compose de noces décousues, mais lancées vivement, et se terminant habituellement par une note basse et ronflante.

Cet oiseau, dit Becker, a le talent d'imitation développé au plus haut degré. Dans la province de Sipps, sur le versant sud des Alpes australiennes, se trouvait une scierie mécanique. L à, les dimanches, quand tout travail était suspendu, on entendait au loin, dans la forêt, l'aboiement d'un chien, le rire d'un homme, le chant de divers oiseaux, les pleurs des enfants, le bruit de la scie ; et tous ces bruits, tous ces sons provenaient d'un seul oiseau-lyre, qui avait établi son domicile non loin de la scierie. A certains moments, comme le moqueur d'Amérique, il remplace à lui seul une bande entière d'oiseaux chanteurs. " Le ménure se nourrit de vers, d'insectes, de coléoptères, d'escargots ; il construit son nid au milieu des buissons, sur les pentes des ravins les plus profonds et les plus escarpés ; il recherche de jeunes arbres serrés les uns contre les autres, et dont la troncs entrelacés forment une sorte d'entonnoir ; c'est là qu'il niche à cinquante ou soixante centimètres au-dessus du sol. Quelquefois, il s'établit dans le creux d'un tronc d'arbre ou sur une fougère peu élevée.

La base du nid se compose d'une couche de grosses ramilles ; le nid, proprement dit, est construit avec des racines fines et flexibles, et l'intérieur est tapissé de plumes délicates. De loin, on dirait un amas désordonné d'herbes et de branches sèches d'environ un mètre de hauteur et do largeur. L'ouverture est latérale, et c'est par là que la femelle entre, en marchant à reculons, la queue renversée sur le dos.

L'oiseau ne pond qu'un oeuf qui ressemble à celui de la cane ; il est d'un gris cendré clair semé de points d'un brun foncé.

Un jour, je vis un chasseur s'emparer d'un jeune ménure ; il était d'assez forte taille et avait la tète et le dos couvert de duvet ; les plumes des ailes et de la queue commençaient à se montrer. Lorsqu'on s'en empara, il poussa un cri qui attira sa mère ; celle-ci accourut, sans rien marquer de sa timidité habituelle, elle s'approcha à quelques pas du chasseur en battant des ailes ; elle courait de côté et d'autre, cherchant à délivrer son petit. Le chasseur impitoyable la tua d'un coup de fusil, et aussitôt le petit cessa de crier.

J'étais au bord d'une rivière aux eaux tranquilles et transparentes, et je pus observer à loisir le plus extraordinaire, le plus étrange de tous les êtres vivants. L'ornithorynque paradoxal a une conformation et des moeurs si singulières que des naturalistes européens ont fait le voyage d'Australie tout exprès pour l'observer.

On a su tout d'abord que les ornithorynques vivaient dans l'eau, que les indigènes les chassaient avec ardeur et les mangeaient avec plaisir : " Les Australiens sont assis aux bords des rivières, avec de petits javelots, et attendent jusqu'à ce qu'un de ces animaux se montrent. Puis ils lui lancent leurs traits et le tuent ainsi. Souvent un indigène restera une heure entière à l'affût avant de lancer son javelot : jamais il ne manque sont but. " On ajoutait à cela beaucoup de fable : On disait que l'ornithorynque pondait des veufs et les couvait à la façon des oies ; on sait aujourd'hui que cette assertion est fausse ; on parlait des propriétés venimeuses de l'éperon de cet animal, on a des exemples du contraire.

Les ornithorynques ont le corps aplati, les jambes courtes, terminées par cinq doigts réunis par une membrane ; les pattes de devant, très fortes et très musculeuses, sont propres à nager et à fouir ; la tête est petite, aplatie, terminée par un large bec de canard, à l'extrémité duquel s'ouvrent les narines. L'animal a environ cinquante centimètres de longueur.

L'ornithorynque paradoxal recherche les endroits où poussent de nombreuses plantes aquatiques ombragées par des arbres touffus ; il creuse son terrier sur une rive escarpée tout auprès du niveau de l'eau. Il sort surtout la nuit et ne quitte par instants sa retraite, pendant le jour, que pour chercher sa nourriture. Je pouvais, dans l'eau limpide, suivre tous ses mouvements ; je le voyais tantôt plongeant, tantôt reparaissant à la surface.

" Je tirai, dit Bennett, un ornithorynque qui fut gravement atteint ; il plongea aussitôt, reparut peu après, pour replonger encore, mais toujours pour quelques instants seulement, et en s'efforçant de gagner la rive ; il ne se mouvait plus dans l'eau qu'avec difficulté, et cherchait à se réfugier dans son terrier. Il nageait plus à la surface que d'habitude ; il essuya cependant deux coups de feu avant de rester sur l'eau. Quand le chien me l'apporta, je vis que c'était un beau mâle. Il n'était pas tout à fait mort, se mouvait encore un peu, mais on n'entendait d'autre son que celui que faisait l'air en passant à travers ses narines,

Au bout de quelques minutes, il se releva et courut à la rivière en chancelant ; ce ne fut que vingt-cinq minutes après qu'il tomba et mourut. J'avais souvent entendu parler des blessures faites par son éperon ; je le saisis tout d'abord près de cet organe. Dans les efforts qu'il faisait pour fuir, il me gratta un peu la main avec ses ongles et avec son éperon, mais je ne me sentis pas piqué. On dit que l'animal se couche sur le dos lorsqu'il veut faire usage de cette arme, c'est peu probable. Je le mis dans cette position, et loin de chercher à se défendre, il ne chercha qu'à se remettre sur ses pattes. Lorsque l'ornithorynque court sur le sol, on dirait une apparition surnaturelle, et l'on conçoit que son aspect singulier puisse effrayer un poltron. " Si je n'avais pas été habituée à ne plus m'étonner de rien, la conformation du kanguroo ne m'aurait guère moins surprise que celle de l'ornithorynque.

Cet animal, comme tous les marsupiaux en général, est remarquable par l'espèce de poche que forme au-devant des mamelles de la femelle un repli plus ou moins considérable de l'abdomen. Les petits naissent dans un état tout à fait rudimentaire ; mais, en naissant, ils passent dans cette sorte de bourse, s'attachent aux mamelles de leur mère, et y restent fixés jusqu'à ce qu'ils soient convenablement développés.

Les kanguroos, ou marsupiaux sauteurs, sont les plus grands animaux do cet ordre ; leur aspect est tout particulier : A partir de la tête, le tronc augmente rapidement en grosseur ; la tête et le haut du tronc paraissent comme atrophiés ; le train de derrière est presque exclusivement affecté aux mouvements, ce qui explique son développement extrême ; les pattes de devant ne servent que d'une manière très secondaire à l'animal pour marcher et pour saisir sa nourriture. A l'aide de leur longue jambes de derrière et de leur queue, ils peuvent faire des bonds prodigieux, avec une vitesse qui égale celle du cerf.

Les uns habitent les vastes plaines herbeuses, les autres vivent de préférence dans les endroits buissonneux, d'autres sur les montagnes rocheuses, d'autres encore dans les forêts impénétrables,

Le kanguroo géant, que les colons de l'Australie appellent le boomer, est un des plus grands de la famille ; un mâle adulte, assis, atteint la hauteur d'un homme ; il a plus de deux mètres de longueur totale. Il vit dans les pâturages, ou dans les cantons couverts de buissons touffus. Quoiqu'il se rencontre par petites troupes, il n'est pas trop sociable, on en voit assez souvent trois ou quatre réunis, mais, dans la petite bande, aucun ne s'inquiète des autres ; un bon pâturage en réunit quelquefois un plus grand nombre, qui ne tardent pas à se séparer dès que les ressource sont épuisées.

Le kanguroo géant est craintif et méfiant ; il ne se laisse que rarement approcher par l'homme.

Je me souviens, toujours avec plaisir, dit Gould, d'un beau kanguroo qui se leva tout à coup en plaine, devant les chiens, et se mit à détaler. Il dressa d'abord la tête, pour voir qui le poursuivait et par où il pouvait fuir ; il s'élança alors, et je pus assister à la course la plus furibonde que j'aie jamais vue. Il parcourut ainsi, d'un trait, quatorze mille anglais ; et, comme il avait pleine carrière, je ne doutais pas qu'il ne nous échappât. Malheureusement pour lui, il s'était engagé sur une langue de terre qui s'avançait environ à deux milles dans la mer, et le chemin lui fut coupé ; il avait devant lui un bras de mer de deux milles de large, et une forte brise agitait les flots. Il n'y avait plus de salut pour lui que dans la nage ou dans un combat heureux avec les chiens. Sans hésiter, il s'élança dans les flots et se mit à nager contre le vent. Mais, enfin, il fut forcé de s'en retourner, et fatigué, épuisé, il revint au rivage, où il ne tarda pas à succomber sous les attaques des chiens. En y comprenant les détours qu'il avait faits, il avait bien parcouru dix-huit milles à la course, et deux milles à la nage. Je ne puis dire au juste le temps qu'il y mit, mais je crois qu'au bout de deux heures il avait atteint la langue de terre, et, à ce moment, sa course était aussi rapide qu'au début. "

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